Pendant cinq ans, de 2002 à 2006, j’ai exercé la fonction de recteur au Sanctuaire de Rigaud, assez longtemps pour que naisse en moi le rêve de voir un jour le grand Lourdes, celui de Bernadette Soubirous.
Il a pu se réaliser dans des circonstances un peu particulières. J’ai quitté Rigaud en 2006 pour devenir curé en France, à Vourles, petit village situé au sud-ouest de Lyon. Alors qu’il y était lui-même curé, c’est là que le Père Louis Querbes a fondé la communauté des Clercs de Saint-Viateur en 1831.
Mais Vourles est loin de Lourdes, à près de douze heures de route. Pas facile de s’y rendre, il faut disposer de plusieurs jours. Tout de même, à la mi-mai, je ne manquais pas de me rendre à la vieille gare Perrache de Lyon pour assister au départ d’antiques trains-ambulances fournis par la SNCF.
Tenant presque du miracle, on parvenait à y entasser plusieurs centaines de malades, d’infirmes et de grabataires. Parmi eux se trouvaient quelques-uns de mes paroissiens handicapés et de nos généreux bénévoles.
Se mettait alors en branle le traditionnel pèlerinage annuel du diocèse de Lyon en direction de Lourdes. On partait y vivre une héroïque semaine.
Lourdes, c’est le sanctuaire des grands malades, des infirmes, des handicapés de toute nature. Assister au départ d’un tel pèlerinage, c’était à la fois lever le voile sur ce qui se vivait là-bas, au pied des Pyrénées et aussi d’entretenir le désir de m’y rendre un jour.
Or voilà que pour la fête de la Nativité de la Vierge, le 8 septembre 2009, à la toute fin de mon séjour en France, j’ai pu vivre mon pèlerinage à Lourdes. À la manière des pèlerins, le voyage s’est effectué à bord d’un train cahotant sur une ligne secondaire. Ce n’était surtout pas le confort d’un TGV.
Au bout de la nuit, dans la brume matinale, ce fut enfin Lourdes dans son décor de montagne. Une petite ville souriante bien garnie d’hôtels et de restaurants. Du plus chic au simple casse-croûte. Sans oublier ce que je me suis plu à appeler la « via dolorosa » qui vous attend dès la gare et vous conduit droit au sanctuaire. Un véritable souk. C’est l’allée des vendeurs du temple…
Mais tout à coup le miracle se produit. Porte Saint-Michel, on entre dans la prairie qui entoure le sanctuaire. Soudain tout est calme.
Un large espace s’offre à nous avec au fond la basilique du Rosaire et au-dessus, dans l’axe de la grotte, la petite chapelle construite à la demande de Bernadette. L’ensemble dissimule le Rocher de Massabielle. La Grotte est là derrière. Sur la droite, le Gave coule paresseusement.
Silence… Respect. Et pourtant ce jour-là, ils se comptent par milliers tous ces malades et handicapés en chariots bigarrés, couverts de larges parasols, poussés ou tirés par une armée de brancardiers tous en uniforme. Ils sont pleins de tendresse et de délicates attentions pour les personnes dont ils ont la charge durant toute la durée de leur séjour. Les pèlerins viennent d’Allemagne, d’Italie, du Portugal et d’ailleurs. Un jour de semaine, ordinaire… C’est ainsi l’année durant.
Une paix profonde… De la sérénité aussi. Elle coule de source à la manière de l’eau qui bien modestement, jaillit encore sous le rocher de Massabiel, comme au temps de Bernadette. On vient la toucher simplement, sans ostentation, pour s’en signer ou pour en mettre discrètement sur un membre souffrant.
Et toute cette lumière… Toutes ces petites flammes qui vacillent autour de la grotte et sur le grand chandelier en forme de buisson. Elles cherchent à traduire le lumineux mystère de ce sanctuaire. Là-bas, on appelle feutiers ceux qui les entretiennent. À la tombée de la nuit, elles ne sont que plus éloquentes surtout quand s’amorce la grande procession.
Je craignais d’être gêné par quelques extravagances. Il n’en fut rien, si ce n’est peut-être mon étonnement devant ce cierge tellement gros qu’il devait être porté par quatre hommes costauds. Ce sont des bavarois m’a-t-on expliqué. Ils viennent chaque année avec un cierge pesant plus de 100 kilos.
J’ai vu là-bas de la souffrance silencieuse, mais surtout de la compassion, de la solidarité, de la lumière, de la paix et beaucoup de foi. Un espace privilégié pour communier à l’indicible. Ce fut pour moi la grande leçon de Lourdes.
Photos, texte et aquarelle de Jacques Houle, c.s.v.
Source :
Voix du sanctuaire 2012 (PDF).