Espoir / espérance / désespoir / désespérance… Évoquer ces quelques mots soulève déjà des nuances et des subtilités qui ne sont pas que langagières.
Entre statistique et vertu
Denise Boucher l’auteure d’une pièce à scandale intitulée Les fées ont soif, aime bien porter sur la société un regard décapant. Dans un de ses livres, Au beau milieu, la fin, publié chez Leméac en 2011 elle se permet ce propos :
L’espérance était à une autre époque une vertu théologale. Maintenant elle est devenue une technicalité pour les statisticiens : l’espérance de vie.
L’espérance de vie s’est beaucoup allongée. Le langage scientifique qui ne peut pas désirer convoiter Dieu s’empare quand même du mot pour le faire vivre avec la contemporanéité, la matérialité et le dur désir de durer. (p. 56)
Une donnée statistique ou mieux le dur désir de durer!
Pour Denise Boucher – et elle n’est pas la seule – l’espérance serait la dure réalité devant laquelle nous risquons de nous retrouver. Mais est-elle vraiment ce dur désir de durer?
Et si espérer était autre chose. On ne peut vivre sans espoir. Il suffit de voir le ravage que peut faire le désespoir.
Nous espérons
Je suis un être qui espère, nous sommes des êtres qui espèrent.
Les parents espèrent le bonheur pour leurs enfants.
Un étudiant espère réussir ses examens.
Le malade espère guérir.
Le médecin espère guérir.
Le chômeur espère trouver du travail.
L’athlète espère la première place.
Un évêque espère que son plan de relance pastoral va fonctionner.
Une agente de pastorale espère que les paroles qu’elle a semées vont porter fruit.
Un prêtre espère qu’il sera à la hauteur de la mission qu’on lui a confiée.
Le migrant espère une terre d’accueil.
Un peuple en guerre espère la paix, rêve de paix.
Un prisonnier rêve de liberté.
Car il y a du rêve dans l’espoir…
L’espoir fait vivre. L’espoir fait rêver. C’est par exemple le plus important moteur de recherche dans le domaine des découvertes scientifiques ou médicales.
Une recherche du meilleur
Les espoirs humains sont remplis de noblesse. Tout en dessous se cache une incessante recherche du meilleur dans tous les domaines. Pour beaucoup, c’est là que logent leurs seules raisons de vivre.
Pourtant ça n’empêche pas le découragement, la tristesse, les échecs, le vide. Si bien que le désespoir peut aussi côtoyer l’espoir, le neutraliser même et on sait jusqu’où le désespoir peut conduire. Il arrive bien tristement que ce soit l’irréparable. Ça, c’est le côté sombre.
Par ailleurs il y a le côté lumineux. Arrive un jour où les espoirs humains se transforment en espérance. Le langage change comme si s’opérait un glissement, tout en douceur. Comme si les espoirs se trouvaient ennoblis par un regard neuf posé sur eux.
De l’espoir à l’espérance
Il y a ici plus qu’une petite subtilité langagière. Pour la Bible, il existe une différence entre les mots espoir et espérance. On pourrait résumer cette différence en disant que : l’un meure et l’autre demeure!
Espoir
C’est le fait d’attendre avec confiance la réalisation dans un proche avenir de quelque chose de favorable, de généralement précis et de déterminé, quelque chose que l’on souhaite, que l’on désire. Ce pourra être un espoir de bonheur, de guérison, de succès avec une caractéristique, le court terme.
Espérance
C’est aussi un sentiment qui porte spécialement sur l’obtention d’un objet déterminé, sur la réalisation de quelque chose dans un avenir qui cette fois semble vouloir s’étaler dans le temps. L’espérance nous conduit dans l’univers du long terme.
En fait tout est une question de regard, celui du croyant. Son angle d’approche permet de percevoir qu’il y a comme une précieuse distinction entre espoirs humains et espérance chrétienne. Mais elle n’est pas là pour les opposer.
Un même terreau
L’espérance chrétienne se nourrit du terreau des espoirs humains. Elle vient dire à l’être humain que je suis, que je n’espère pas sans raison. Mes espoirs humains ne sont pas vains, le Christ en fait mon espérance.
C’est comme si la foi se mettait à donner des ailes à mes espoirs les plus nobles, les plus humains, à mes rêves les plus beaux, les changeant en espérance et leur donnant ainsi comme une force inattendue qui soulève, redresse et remet en marche.
L’espérance plus qu’une simple attente, qu’un simple espoir, devient quelque chose de probable disent les statisticiens, de certain dira le théologien.
À l’inverse, cette même foi si elle peut transformer les espoirs en espérance a ce pouvoir de rendre plus supportable mes désespérances, comme si le Christ les portait avec moi, alors que le désespoir, tout cru, tout bête, devient lui, insupportable.
Petit détour par les Écritures
À la manière d’un survol, un passage par les Écritures s’impose, mais il n’est pas sans surprise.
La première est de constater que le mot espérance ne se retrouve que dans de rares livres et à des endroits bien précis du Premier Testament. On s’attendrait, par exemple à le retrouver dans les livres de Sagesse ou dans les livres historiques. Ce n’est pas le cas.
Pourtant Abraham – s’il en fut un – se mit en route avec l’espérance vissée au cœur or il n’en parle pas. Ce qui ne l’empêche pas de vivre la mécanique de l’espérance.
Il y a des attentes dans l’histoire d’Israël, mais le peuple ne fait pas l’expérience d’espérer.
Le Livre de la Sagesse comme celui des Proverbes parlent explicitement d’attendre le Seigneur, mais le vocabulaire ne semble pas au rendez-vous. Ces attentes ne sont pas encore exprimées comme une espérance.
Dans les psaumes
Tout de même le Premier Testament ne peut éviter le vocabulaire de l’espérance. Seulement il se retrouve dans des textes précis qui donnent d’en comprendre la réalité première, comme les psaumes – donc dans la prière – et dans le Livre de Job. Ailleurs c’est en filigrane qu’on en sent la présence.
Ce n’est pas sans importance que ce soit dans le Livre des Psaumes qu’on le retrouve.
En effet les verbes espérer et attendre s’y rencontrent plus de 30 fois. Presque toujours c’est Dieu qui est attendu ou espéré, si ce n’est sa parole ou ses préceptes.
Rappelle-toi ta parole à ton Serviteur dont tu fis mon espoir
Mais le Seigneur a les yeux sur ses fidèles,
Sur ceux qui espèrent son amour.
Ps 118,49
Mon âme attend le Seigneur, je suis sûr de sa parole;
mon âme attend plus sûrement le Seigneur qu’un veilleur attend l’aurore.
Que le veilleur espère l’aurore et Israël, le Seigneur.
Ps 129,7
L’idée d’espérance naît donc en contexte de prière. L’espérance se nourrit de prière. C’est là que l’espoir et l’attente se font espérance.
Chez Job
Par ailleurs s’il en est un qui ne désespère pas c’est bien Job.
Il continue à prier un Dieu qui fait la sourde oreille même si, prenant la parole pour répondre à ses amis il s’écrie : Comme un arbre il a déraciné mon espérance (Jb 19,10).
À la fin de ses longs plaidoyers, c’est le brusque retournement : Je sais bien, moi, que mon rédempteur est vivant.
Et le livre se termine sur cette déclaration que Job fait à Dieu : Je te connaissais par ouï-dire, maintenant mes yeux t’ont vu (Jb 42,5).
Avec le deuxième livre des Martyrs d’Israël
Écrit à peine plus d’une centaine d’années avant le Christ, aux abords de l’ère chrétienne, il ouvre à sa manière une large avenue sur ce qu’allait devenir l’espérance.
Une certitude habite les frères Macchabées : Le roi du monde nous ressuscitera pour nous donner une vie éternelle à nous qui mourons pour ses lois (2 M 7,9b).
Les martyrs d’Israël meurent dans l’espérance d’être relevé (le terme employé désigne la résurrection).
Le Premier Testament se termine donc sur une note d’espérance. La résurrection est une probabilité. C’est ainsi qu’il peut être vu comme un chant d’espérance, comme une liturgie d’espérance.
L’aventure chrétienne de l’espérance
La table est mise et bien mise… c’est dans ce contexte que l’espérance chrétienne allait naître dans les décennies suivantes, mieux où l’espérance allait devenir quelqu’un. L’espérance même en la résurrection allait prendre un visage, celui de Jésus, le Christ, le ressuscité.
C’est ce qu’on dû apprendre les disciples d’Emmaüs. Ils avaient cru en Jésus, mais leurs yeux ne s’étaient pas encore ouverts à ce qu’il était vraiment. Ils s’étaient trompés d’espérance. Ils avaient mis en lui un espoir à court terme alors que Jésus était et est source d’espérance pour la vie.
À la lumière des Évangiles, l’espérance peut alors être remise en perspective :
- L’espérance est bien autre chose qu’un état d’âme
- L’espérance n’est pas qu’un vague désir de durer
- L’espérance n’est pas seulement une attente comme l’espoir
- L’espérance ouvre sur le long terme
- L’espérance est un don
- L’espérance mobilise
- L’espérance rend libre et confiant
- L’espérance c’est Quelqu’un.