Une étoile
Nous avons vu son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui. (Mt 2,2)
Ils avaient vu avec des yeux qui cherchent dans la nuit. Avec de grands yeux. Des yeux grands ouverts. Une étoile avait mis en marche leur étrange caravane.
Mais qui étaient-ils? Étaient-ils vraiment trois? L’évangile de Matthieu ne le précise pas, seule l’offrande symbolique de trois cadeaux le suggère.
Quant à savoir s’ils étaient rois, une discrète allusion du prophète Isaïe pourrait le donner à penser, sans plus. De ça non plus, Matthieu ne parle pas.
Tout de même l’évangéliste nous dira d’eux qu’ils sont des mages. Venaient-ils donc de ce pays appelé aujourd’hui l’Afghanistan? Peut-être. Nous n’en savons rien. Au temps d’Hérode et de Jésus, ce pays s’appelait la Perse et là-bas, le titre de mage désignait prêtres et devins.
Ils avaient vu une étoile, raconte Matthieu, mais n’était-ce pas tout simplement la première lueur de la gloire de Yahweh se levant tandis que les ténèbres s’étendent sur la terre? Isaïe l’avait si bien évoquée dans son troisième livre (Is 60,1).
Le prophète Zacharie avait pour sa part claironné : Debout, rayonne, car voici la lumière (…) dites à la fille de Sion – c’est ainsi que les poètes appelaient la ville de Jérusalem construite sur le mont Sion – : voici ton sauveur qui vient (Za 9,9).
Ils avaient vu… Voilà peut-être tout simplement la clé de cette étrange histoire, du moins celle que nous suggère la liturgie de l’Épiphanie du Seigneur.
Une épiphanie
Épiphanie… un mot familier. Pourtant c’est un mot savant. Un mot grec à peine francisé venu directement du passé sans même qu’on prenne le soin de le traduire, comme le mot Christ.
Épiphanie veut dire manifestation.
Chez nos frères chrétiens de culture grecque, c’est la Noël, la naissance, la fête de la manifestation.
Par la naissance de son Fils, Dieu se manifeste à toutes les nations du monde. Il s’agit là pour eux d’un seul et même mystère ce que saint Bernard qui a vécu au 12e siècle avait si bien compris. Dans son Sermon pour la fête de l’Épiphanie il écrit :
Voici manifestées la bonté et l’humanité de Dieu notre Sauveur. Avant que n’apparaisse son humanité, sa bonté aussi demeurait cachée. Certes, elle existait auparavant, car la miséricorde du Seigneur est de toujours. Mais comment aurait-on pu savoir qu’elle était si grande? Elle faisait l’objet d’une promesse, non d’une expérience.
La bonté de Dieu faisait l’objet d’une promesse, non d’une expérience. Comment aurions-nous pu savoir qu’elle était si grande?
Voilà qu’elle n’est plus promise, mais offerte. Non pas remise à plus tard, mais donnée à voir. Non plus prophétisée, mais enfin là devant les yeux étonnés de ces mages mythiques venus du bout du monde.
La bonté de Dieu se donne à voir
Mais n’est-ce qu’une belle histoire? C’est plus qu’une belle histoire.
En peu de mots, le récit nous dit quelque chose d’essentiel. Matthieu se sert ici de tout son talent pour nous introduire au mystère du Christ.
Les mages avaient vu… Ils ont vu. Ils voient. Ils voient manifestée l’humanité de Dieu. Ils assistent à l’épiphanie de sa bonté. Elle se donne à voir. L’étoile qui les avait mis en route était en fait quelqu’un.
La véritable étoile n’est pas une comète, mais un petit enfant fragile couché dans une mangeoire. Signe paradoxal, il donne à la bonté de Dieu de devenir palpable, parce qu’incarnée dans l’histoire.
Cet enfant, c’est l’humanité de Dieu qui se donnait enfin à voir et les mages de Matthieu, la figure de ceux qui la cherchent.
Un récit qui affine le regard
Ce récit vieux de deux mille ans pourrait ne demeurer qu’une fable. Le grand ciel piqué d’une belle étoile qui avait mis en marche des mages mystérieux pourrait n’être que l’évocation symbolique d’une manifestation bien loin de nous dans le temps et l’espace.
Le récit de Matthieu a plus à offrir. C’est une bonne nouvelle. Il est Bonne Nouvelle. Relu d’année en année, il affine le regard. Il nous redit que le chemin suivi par les mages – un chemin fait de nuit et d’incertitude – conduit à découvrir un Dieu plein de surprises :
un Dieu qui accepte de manifester sa bonté et son humanité,
un Dieu qui donne d’expérimenter sa bonté,
de toucher du doigt son humanité,
un Dieu qui n’est pas qu’une promesse…
Son nom est doux à nos oreilles,
doux comme le parfum de la myrrhe,
léger comme la fumée de l’encens,
précieux comme cet or apporté d’Orient.
Paul, dans sa lettre aux Éphésiens, traduit ainsi la grâce que Dieu lui a donnée par révélation, car à lui aussi Dieu s’est manifesté : Il m’a fait connaître le mystère du Christ… mystère devenu un héritage offert à tous (Ép 3,2.6).
Lui aussi avait eu son épiphanie.
Lui aussi avait vu.
Épiphanie … Manifestation … Révélation …
À la manière des mages, puissent nos yeux demeurer grands ouverts !