La fondation d’une communauté religieuse c’est un peu comme un mariage. Ça commence toujours par une rencontre d’amour entre deux personnes. D’un côté, le Seigneur qui a une vision de bonheur pour l’humanité et de l’autre une personne qui reçoit cette vision, la fait sienne et accepte de devenir collaborateur avec Dieu. Ce fut le cas de Louis Grignion, né en 1673 et mort en 1716 à l’âge de 43 ans.
Mais qui est-il? Animé d’un amour tendre pour la Mère de Dieu, il ajoute « Marie » à son nom, puis en toute gratitude pour le don de la foi, il ajoute « Montfort », le lieu de son baptême. Sa mort prématurée est preuve d’une existence faite de sacrifice et de don de lui-même.
À la fin du 17e siècle, alors qu’il est jeune prêtre en France, Louis voit la misère humaine qui l’entoure, la grande pauvreté des malades dans des hôpitaux délabrés, des enfants sans instruction ni éducation, des mendiants qui sillonnent les rues.
Lui-même fait une expérience spirituelle extraordinaire et saisit avec une acuité insoupçonnée les deux volets d’une même réalité ou d’un même mystère : d’abord cet amour infini de Dieu pour l’humanité, tout particulièrement les pauvres, pour tous ceux et celles qui sont marqués par la souffrance, ceux que spontanément on a tendance à rejeter.
Conscient de sa propre indigence, mais en même temps, de l’amour que Dieu lui porte, il découvre que la Sagesse de Dieu se cache dans le pauvre et que la plus grande et la seule richesse réside dans l’amour de Dieu pour la faiblesse. Cette sagesse de Dieu bien sûr est folie pour le monde. Et en deuxième lieu, l’urgence pour l’humanité de répondre à cet amour gratuit. C’est son charisme et cette puissante énergie spirituelle ouvre pour lui le chemin d’une conversion totale sur laquelle repose la fondation de cette œuvre de Dieu dans l’humanité.
En 1947, l’Église a reconnu la sainteté de sa vie ainsi que l’incomparable richesse de l’héritage laissé par ses écrits, ses cantiques, ses sermons, sa vie. L’homme humble et caché aux yeux du monde se tient aujourd’hui grand et solide dans un mouvement de marche, le crucifix à la main, à la Basilique St-Pierre de Rome. Un moment de gloire pour les yeux de ceux qui cherchent Dieu.
Un Saint ne meurt pas, un saint de son temps qui a su faire la différence entre les fausses sagesses qui trompent et causent le malheur des personnes et la vraie Sagesse de Dieu, seul chemin de Bonheur que nous propose l’Évangile.
Le seul langage qui est crédible et cohérent est bien celui du geste, du service, du don de soi. Louis Marie voit les besoins immenses et sent l’appel à venir au secours de ces personnes sans ressources et en qui il reconnaît le Visage de la Sagesse. Par contre, il sait très bien que seul il ne peut y arriver.
Il prie donc cette Sagesse aimante de lui envoyer du secours et sa prière trouve son achèvement dans une rencontre avec une jeune fille, du nom de Marie-Louise Trichet, qui partage avec lui le même amour profond de Dieu et du pauvre, et qui plus est, cherche à se donner dans la vie religieuse. Le plan de Dieu se concrétise et cette rencontre, décisive.
Ensemble donc, ils fondent une communauté religieuse. Marie-Louise Trichet devient la co-fondatrice de cette communauté portant le beau nom de Filles de la Sagesse, le 2 février 1703 à l’hôpital de Poitiers en France. La proximité avec les pauvres, stimule et donne sens au don qu’elle fait d’elle-même constamment dans des gestes de compassion, ce qui l’amène à dire : « Si j’étais étoffe, je me donnerais aux pauvres. » Nous pourrions continuer en disant : « Si j’étais pain… je me donnerais… »
Les débuts de cette fondation se sont déroulés dans une pauvreté extrême et inimaginable. La première communauté est composée de femmes malades et infirmes, mais saines d’esprit et soucieuses de vie spirituelle. À leur tête Montfort place une aveugle. En toute fidélité à sa spiritualité il place en avant ce qui est petit, méprisable en apparence, afin de confondre la sagesse du monde.
Malgré les difficultés à surmonter, la Congrégation prend son essor, et Marie-Louise continue de fonder des communautés à qui elle communique l’esprit légué par Montfort. C’est un bonheur pour nous de célébrer cette année même en 2018, le 25e anniversaire de la Béatification de Marie-Louise de Jésus.
Pourquoi le nom « Filles de la Sagesse »? La recherche de bonheur est inscrite, gravée même dans notre être profond. Mais pour bien vivre nous avons besoin d’une sagesse élémentaire, ou un certain ordre dans nos vies, un savoir-faire qui finalement procure le bonheur.
Montfort découvre que Dieu a manifesté sa sagesse depuis le début de la création elle qui reflète l’ordre, la beauté et l’harmonie. Mais la vraie sagesse de Dieu réside dans le fait de nous aimer au point de nous donner son Fils qui en venant chez nous a accepté de devenir petit, pauvre, vulnérable, en d’autres mots un Dieu qui refuse la grandeur pour la petitesse, qui refuse les honneurs pour le service.
Un Dieu qui n’impose pas, mais qui au contraire offre son amour et se tient comme un mendiant en attente du nôtre. Accepter de vivre dans une relation d’amour inconditionnel est sans contredit le chemin le plus sûr qui soit et qui conduit au bonheur. En fin de compte, le seul bien qui vaille la peine de chercher, c’est Jésus, Sagesse de Dieu. Montfort l’a compris, d’où vient ce beau nom de Filles de la Sagesse dont il a revêtu sa communauté de femmes consacrées. Il inculque à ses Filles, la dévotion à Marie, ce secret unique : « Pour aller à Jésus, allons mes frères, allons par Marie. »
Depuis le début de la fondation en 1703, 18,000 Filles de la Sagesse ont cherché à vivre du charisme de Montfort, c’est-à-dire, aimer leurs frères et sœurs en poursuivant les œuvres dans l’éducation et les soins hospitaliers d’abord.
Depuis les trente dernières années, nous avons approfondi cette spiritualité : celle de devenir dans nos gestes et paroles reflet de la compassion de la Sagesse pour les plus démunis. C’est par le chemin de conversion personnelle et communautaire qui nous permet de reconnaître et d’aimer notre propre faiblesse que nous pouvons en retour aimer la faiblesse de l’autre ou encore aimer la Sagesse présente dans la vulnérabilité de l’autre.
Les religieuses réparties à travers le monde dans les cinq continents recherchent d’un cœur ardent cette Sagesse, tout en étant soucieuses d’éveiller dans le cœur des personnes qu’elles côtoient cette même prise de conscience d’être aimées par la Sagesse. C’est le seul Bonheur durable que nous recherchons en vivant pleinement cet amour selon bien sûr, nos forces et nos limites.
Cette mission se concrétise là où nous sommes, en luttant pour la justice surtout dans la cause des femmes et des enfants dans les pays où leur dignité est bafouée, permettant à ces femmes d’améliorer leurs conditions de vie et de contribuer à leur propre bien-être et à l’avancement de l’éducation sur tous les plans. Nous sommes présentes également auprès des personnes âgées, sommes bénévoles dans des hôpitaux, des œuvres de bienfaisance ou sociales, en pastorale, en administration.
Aujourd’hui la Congrégation est répandue à travers le monde. De 1703 à 1846, les Filles de la Sagesse ont œuvré en France et en Europe, mais à partir de 1846 jusqu’à aujourd’hui avec le nombre croissant de religieuses originaires des différents pays, des entités en croissance et autonomes se constituent. Fidèles au charisme de nos Fondateurs, nous nous engageons dans des projets apostoliques sur tous les continents.
L’esprit missionnaire, caractéristique de notre spiritualité nous pousse à répondre généreusement aux besoins de nos semblables sans condition et au-delà des frontières. Nous partageons nos forces avec des organismes dont le but demeure toujours la promotion de la vie. Notre collaboration avec les laïcs dans les services à l’intérieur de la communauté est devenue primordiale du fait de la décroissance en effectifs.
Dans la formation plus récente de nos candidates à la vie religieuse, un accent très fort est mis sur l’interculturalité, permettant donc à ces jeunes religieuses porteuses de l’avenir de la Congrégation d’apprendre une deuxième et une troisième langue si possible, de vivre en communautés de cultures différentes, et ce dans des pays autres que le leur.
Très exigeant pour plusieurs, ce n’est que dans la vérité de leur appel à une communauté internationale et interculturelle, qu’elles s’y prêtent par des efforts marqués et avec grande générosité.
La Maison-Mère à Saint-Laurent-sur-Sèvre en France a toujours rassemblé ses Filles et le retour aux sources contribue à éveiller et à maintenir l’élan premier dans le cœur de chacune. Notre maison Généralice établie à Rome en 1950 s’est déplacée et a repris le chemin de la France depuis janvier 2017.
Depuis plusieurs décennies la Congrégation change de visage. Le faible recrutement dans les pays de l’Europe et des Amériques est compensé par un accroissement d’un nombre considérable dans les pays du Sud.
Tout en se réjouissant, il reste que cette situation présente de nouveaux défis auxquels il faut faire face avec lucidité et beaucoup de confiance en la Sagesse qui dirige et ordonne, ainsi que dans nos sœurs des entités en croissance. La formation reçue les préparera dans un avenir très rapproché pour prendre la direction de la Congrégation au plan international. Certaines entités verront peut-être leur fin, pendant que d’autres continueront la mission. C’est le mystère qui pour le moment nous enveloppe.
Une chose certaine c’est qu’en fidélité à l’héritage reçu et en s’adaptant au monde actuel avec ses divergences, ses luttes raciales, ses souffrances à visage multiple, c’est toujours l’esprit de Montfort et de Marie-Louise que nous cherchons encore à vivre et qui anime nos orientations de vie, promulguées lors de nos Chapitres généraux.
Le charisme de Montfort exprimé par sa spiritualité a marqué le monde pendant plus de 300 ans. Son œuvre se continue dans les membres des trois communautés religieuses qui s’en inspirent, les Missionnaires Montfortains, les Frères de St Gabriel et les Filles de la Sagesse, leurs associé.e.s et les Ami.e.s de la Sagesse.
Quelle espérance nous habite pour l’avenir? Que les personnes et les regroupements qui s’abreuvent de la spiritualité de Montfort et de Marie-Louise restent ouverts aux besoins des plus démunis et poursuivent leur œuvre d’amour passionné de la Sagesse au service de l’humanité blessée à travers le monde.
Bernadette Paquette fdls
Source :
Voix du sanctuaire 2019 (PDF).