L’humilité de Jésus est pour nous chemin d’humanité. Jésus est le plus humble des hommes parce que le plus humain. Cela ne le diminue nullement, bien au contraire.
Si Jésus met l’accent sur l’humilité (Lc 22,27)1, il est aussi fier de s’identifier à Dieu (Jn 6,51)2; Jn 10,303. L’humilité est donc aussi pour nous chemin de divinisation.
Introduction
La véritable humilité, c’est tout simplement la vérité de notre humanité. Et c’est ce que Jésus est venu nous apporter. Être humble, c’est savoir aimer au point de ne plus chercher à occuper la 1ère place. À la limite où Jésus l’a poussée, l’humilité est tout simplement impossible avec nos seules forces. Il fallait un Dieu aimant pour y arriver.
Jésus s’est d’abord fait doux et humble de cœur (Mt 11,29)4. C’est cette caractéristique première que Jésus a voulu assumer tout au long de sa vie sur Terre. Une telle vérité de base a-t-elle amené Jésus à se dévaluer? Jamais! Au contraire, il a reconnu clairement être aussi de nature divine, intimement uni avec son Père (Jn 17,21-22)5.
Dans ce cheminement, je vous invite à entrer dans l’aventure de Jésus à la fois humble et fier d’être Fils de Dieu. Ne craignez pas de vous identifier à Lui jusqu’à participer à Sa divinité parce que vous aurez pris contact d’abord avec sa véritable humanité.
Quelques pistes de réflexion vous sont proposées à la fin de chaque section.
La bêtise de l’orgueil
L’orgueil, c’est se prendre pour ce que l’on n’est pas. C’est vrai que l’orgueil nous propulse dans les illusions. Être orgueilleux, c’est une erreur ontologique, c’est être à côté de son axe, c’est prendre pour de l’être ce qui n’a pas d’être.
Le mot grec « Hamartia » qui veut dire péché veut aussi dire « être à côté ». On entend souvent : « Il se prend pour un autre. » C’est cela l’orgueil : oublier qui nous sommes pour chercher à côté de nous-mêmes des renforçateurs d’Ego, des signes extérieurs qui nous font croire puissants et invincibles.
Jésus n’avait aucunement cette tendance si répandue de nos jours. Il savait bien que sa propre glorification ne servirait à rien (Jn 8,54-55)6. Jésus n’était pas un surhomme, mais bien l’homme le plus branché sur la réalité profonde : sa nature divine liée à sa conscience des limites humaines.
Comment est-ce que je réagis face à mes limites?
Est-ce que je recours à des « renforçateurs d’ego »? Lesquels?
Comment Jésus réagirait-il dans ma situation?
L’orgueil et la vanité
La vanité s’entend dans 2 sens différents :
- Le 1er sens était déjà très présent dans l’Ancien Testament (Qo 1,2)7. Tout est vanité dans le monde, car rien ne demeure; c’est pourquoi l’orgueil est si « à côté » de la vérité.
- Le 2ème sens du mot vanité n’en fait pas véritablement un péché : simplement un défaut plutôt dérisoire. Autant l’orgueil est intérieur, autant la vanité est extérieure : elle vient d’un besoin de se faire admirer, mais elle y répond par des ostentations qui masquent le vide intérieur de la personne qui s’en prévaut. Les animaux ne voient ni leur propre vanité, ni celle des autres animaux, ni celle de toutes choses selon Qohélet (Qo 1,2).
C’est donc à nous les êtres humains qu’est confiée la mission de passer de la vanité à la vérité. Jésus nous en a montré le chemin, car il connaissait le néant dans lequel se manifeste la lumière (Lc 12,15)8. Son dialogue constant avec le Père ne l’empêchait pas de voir autour de lui combien tout passe, combien les puissants de ce monde cachent souvent un grand vide intérieur, combien les richesses ne rendent pas la vie plus humaine, encore moins divine.
Humilité de Jésus qui sait l’intime des cœurs, qui sait que notre richesse est intérieure, don de Dieu, et qui sait surtout comment parler du Père avec vérité et autorité (Jn 8,49-50)9. Il fallait certes être le Fils du Père, mais aussi le plus humain des hommes, pour oser nous parler de vie éternelle.
Nous avons déjà dans ce lien entre vie et éternité une indication du lien encore plus profond entre humanité et divinité. C’est en devenant plus humains à la suite de Jésus que nous obtiendrons la vie éternelle, donc la divinisation. C’est là un grand mystère que Jésus nous a confié et qu’il nous demande de faire fructifier.
Est-ce que je m’accepte dans certaines de mes vanités? Quelles sont-elles?
Qu’est-ce qu’il y a de plus humain en moi?
Comment puis-je avec Jésus renforcer mon humanité?
Le Moi et le Je
La création n’est pas terminée. Elle repose même entre nos mains. Et la 1ère grande réalisation que nous avons pour mission d’effectuer réside en nous-mêmes :
Nous avons à réaliser en nous le passage du Moi fermé sur lui-même au Je ouvert à tout le reste.
C’est un passage très difficile à réaliser. Les animaux n’en ont pas la capacité, car il leur manque la conscience de leur propre finitude. Les humains, depuis le début, ont reçu le pouvoir et la liberté de réaliser ce passage. Jésus est même venu leur en montrer le chemin.
Dieu, dans son grand respect, nous laisse cependant libres. Libres donc de nous cantonner dans notre petit Moi défensif ou de nous ouvrir à l’autre, nous – l’humanité – avons souvent choisi le Moi fermé aux dépens du Je ouvert.
Mais le chemin du Je reste toujours accessible, dans le don d’amour de Jésus mort et ressuscité qui nous rend libres (Rm 6,4)10. Car notre ancien Moi est mort avec le Christ. Et c’est par Lui que nous renaissons avec un nouveau Je, celui-là même que Dieu nous accorde tant que nous mettons en Lui notre foi.
C’est ce nouveau Je qui nous fait découvrir Dieu dans le prochain. Il n’est pas question de nous dévaluer pour autant, car nous savons par Jésus que le Père aime également – car infiniment – tout ce qui vit sur la Terre et dans les Cieux (Mt 6,26)11.
Nous ne pouvons passer du Moi défensif au Je ouvert que dans une relation personnelle avec le Tout Autre. C’est ainsi que notre Moi peut abandonner ses défenses préfabriquées et s’ouvrir à une réalité qui nous porte et nous englobe. C’est en cette relation que nous devenons vraiment nous-même, puisque ce Tout-Autre s’atteste comme pur Amour. Et cela se joue dans l’amour même où notre nouveau Je jaillit de la rencontre qui nous affranchit de l’ancien Moi.
Habités par l’Amour, nous effectuons en somme au fond de notre être différents passages :
- le passage de la loi à la liberté;
- le passage de l’obligation à l’amour;
- le passage enfin du paraître à l’être.
Chacun de ces passages est chemin vers notre véritable humanité.
Comment puis-je faire le passage vers un « Je » plus ouvert à l’autre?
Comment, au cours de ma vie, suis-je devenu plus humain? Quel rôle le Christ a-t-il joué dans ce processus?
La fierté d’être soi
L’humilité de Jésus ne l’empêche aucunement d’être fier de se savoir et de se proclamer Fils de Dieu. Ce n’est pas de ses propres réalisations dont Jésus est fier. Ce sont les œuvres du Père qu’Il proclame sans cesse. Et il a une prédilection particulière pour la miséricorde divine.
Le pardon à la femme adultère, la parabole de la brebis perdue, celle de l’enfant prodigue, ses repas avec ceux que les pharisiens appelaient des publicains et des pécheurs, l’invitation à ne pas juger, etc., tout en Jésus témoigne d’une grande humilité en même temps que d’une grande assurance et d’une grande fierté, non pas de posséder des choses pour soi-même, mais d’être simplement le plus humain possible : être soi, c’est-à-dire se savoir dans l’Amour et chercher à y demeurer. Voilà le témoignage de Jésus (Jn 15,10-12)12.
M’arrive-t-il de faire un lien entre être soi et rester dans l’Amour?
Pour rester dans l’Amour, quels sont les moyens que j’adopte?
Ai-je des exemples de fierté qui ne soit pas de l’orgueil?
L’identification à Jésus
L’identification à Jésus n’a pas toujours été bien comprise. On nous a souvent parlé d’un Jésus si parfait, si loin de nous, que l’identification à Lui devenait un tour de force que seuls les plus grands saints pouvaient réaliser. Or il est vrai que nous sommes toutes et tous appelés à nous identifier à Jésus.
Mais rien n’est plus simple dans un sens, car c’est Jésus d’abord qui s’est identifié à nous en prenant notre nature et en nous disant clairement que c’est Lui et même le Père que nous accueillons à chaque fois que nous accueillons le moindre de ceux qui nous entourent (Mc 9,37)13.
S’identifier à Jésus, c’est donc d’abord le voir dans les autres, À commencer par les plus simples que Jésus a privilégiés :
- Il voulut en donner l’exemple en lavant les pieds de ses disciples (Jn 13,12-15)14;
- Même à sa propre mère Marie, il osa préciser qui étaient sa mère et ses frères (Mt 12,46-50)15 : ceux qui font la volonté du Père.
Et Jésus de souligner quelle est précisément cette volonté de son Père : que nous nous aimions les uns les autres (Jn 15,12)16.
Rien n’est plus simple, et pourtant comme c’est difficile à réaliser sans Dieu! Il n’y a qu’à regarder ce qui se passe présentement aux 4 coins du globe : haine, tueries, vengeances, rancunes, calomnies, etc. L’humanité a le choix : ou bien elle va vers Jésus, ou bien elle continue de s’avancer vers la pire des morts, la mort de l’âme.
L’identification à Jésus n’est vraiment pas un thème à l’eau de rose; c’est une urgence pour toute l’humanité. Mais si chacune et chacun de nous commence à la réaliser dans son cœur, le Royaume de Dieu sera déjà à l’œuvre dans l’humanité. Voilà où réside notre liberté, dans la décision d’aimer, comme Jésus nous en a si bien montré le chemin. Bienheureux les humbles de cœur! Ils sont les véritables temples de Dieu (Jn 14,23)17. Temples de Dieu, oui, mais pas moins humains pour autant.
Bien au contraire, l’identification à Jésus est le chemin le plus sûr pour accéder à une véritable humanisation. Il n’y a qu’à voir combien se détériore le tissu humain là où Dieu n’a plus ses entrées, là où Dieu est caricaturé, trituré au profit de la domination et de l’exploitation des plus faibles.
Comment les souffrances dans le monde m’interpelles?
Est-ce que je vois Jésus présent à mes propres difficultés?Comment?
Ai-je l’audace de m’identifier à Jésus? Comment puis-je grandir dans ce processus?
Conclusion
Nous pouvons nous identifier à Jésus, car il est le frère de tout être humain.
Comme l’écrit Habachi : « Chacun peut trouver en lui son compagnon permanent et son refuge. Il est avec nous dans nos joies comme dans nos douleurs, nos catastrophes. Il est avec nous dans nos sentiments de solitude. Parce qu’il est déjà là et qu’il ne dépend que de nous de nous ouvrir à lui. Ce pèlerin qui marchait sur les routes de Palestine, c’est vraiment l’homme universel. » (René Habachi, Panorama de la pensée de Maurice Zundel, Éd. Anne Sigier, 1987, p. 217-218)
Et le plus beau, c’est cette filiation divine à laquelle nous sommes convié(e)s dès que nous acceptons de nous identifier à Jésus. Il est le grand frère qui nous a précédé(e)s dans la divinisation.
C’est en Lui et par Lui que nous pouvons sans hésiter nous proclamer enfants de Dieu. Avec Jésus, nous pouvons donc redire en toute confiance : « Notre Père… ».
Et Dieu, dont la sollicitude s’étend au moindre brin d’herbe, saura nous introduire à la table du banquet éternel, à la contemplation de son Amour vibrant dans la moindre manifestation naturelle. Car nous sommes déjà ressuscité(e)s avec Lui.
Et si nous demeurons en son Amour, chaque instant est déjà pour nous un instant d’éternité. Entrer dans l’humilité de Jésus, c’est partager déjà son humanité et sa fierté d’être, ce qui devient notre véritable humanité, notre fierté d’être Fils et Filles de Dieu à jamais.
- Lc 22,27 – Lequel est en effet le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert? N’est-ce pas celui qui est à table? Or, moi, je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert. (TOB)
- Jn 6:51 – « Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. » (TOB)
- Jn 10:30 – Moi et le Père nous sommes un. (TOB)
- Mt 11:29 – Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. (TOB)
- Jn 17:21-22 – que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un. (TOB)
- Jn 8:54-55 – Jésus leur répondit: « Si je me glorifiais moi-même, ma gloire ne signifierait rien. C’est mon Père qui me glorifie, lui dont vous affirmez qu’il est votre Dieu. Vous ne l’avez pas connu, tandis que moi, je le connais. Si je disais que je ne le connais pas, je serais, tout comme vous, un menteur; mais je le connais et je garde sa parole. (TOB)
- Qo 1:2 – Vanité des vanités, dit Qohéleth, vanité des vanités, tout est vanité. (TOB)
- Lc 12:15 – Et il leur dit: « Attention! Gardez-vous de toute avidité; ce n’est pas du fait qu’un homme est riche qu’il a sa vie garantie par ses biens. » (TOB)
- Jn 8:49-50 – Jésus leur répliqua: « Non, je ne suis pas un possédé; mais j’honore mon Père, tandis que vous, vous me déshonorez! Je n’ai d’ailleurs pas à chercher ma propre gloire: il y a Quelqu’un qui y pourvoit et qui juge. (TOB)
- Rm 6:4 – Par le baptême, en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle. (TOB)
- Mt 6:26 – Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent point dans des greniers; et votre Père céleste les nourrit! Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux? (TOB)
- Jn 15:10-12 – Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. Voici mon commandement: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. (TOB)
- 9:37 – « Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même; et qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. » (TOB)
- Jn 13:12-15 – Lorsqu’il eut achevé de leur laver les pieds, Jésus prit son vêtement, se remit à table et leur dit: « Comprenez-vous ce que j’ai fait pour vous? Vous m’appelez le Maître et le Seigneur et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres; car c’est un exemple que je vous ai donné: ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. (TOB)
- Mt 12:46-50 – Comme il parlait encore aux foules, voici que sa mère et ses frères se tenaient dehors, cherchant à lui parler. Quelqu’un lui dit: « Voici que ta mère et tes frères se tiennent dehors: ils cherchent à te parler. » A celui qui venait de lui parler, Jésus répondit: « Qui est ma mère et qui sont mes frères? » Montrant de la main ses disciples, il dit: « Voici ma mère et mes frères; quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, c’est lui mon frère, ma sœur, ma mère. » (TOB)
- Jn 15:12 – Voici mon commandement: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. (TOB)
- Jn 14:23 – Jésus lui répondit: « Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole, et mon Père l’aimera; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. (TOB)