La vie en plénitude

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Est-ce possible?

Introduction

« Je suis le pain vivant descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais » (Jn 6,51).

C’est par le don de sa propre vie, dont l’Eucharistie renouvelle la commémoration, que Jésus devient pour nous pain du ciel et source de vie. La réalité première ainsi commémorée dans l’Eucharistie est d’une telle portée qu’il convient de la rappeler.

Cette réalité, il ne faut jamais l’oublier, c’est d’abord notre propre vie vécue en plénitude. C’est cela que Jésus est venu nous apporter : non seulement la vie éternelle après notre mort, mais déjà maintenant en nous la Vie en abondance (Jn 10,101).

Un Père de l’Église, Origène, a eu l’audace d’écrire une réflexion reprise par les évêques du Québec : Jésus est venu dans la chair de Marie, oui, mais aussi dans notre chair à nous. (Homélie sur Genèse 3,72).

Et Irénée de Lyon de renchérir : La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant (Adversus haereses, IV, 20, 73). à notre tour, osons proclamer : oui, le plus grand désir de Dieu, c’est que je vive en plénitude!

MonarqueEn effet, c’est de vie en abondance, de plénitude, de bonheur et d’épanouissement dès cette vie dont il est question dans ces textes qui reprennent plusieurs affirmations de l’Ancien Testament. C’était alors l’observation de la Loi qui était source de Vie (Dt 4,14).

Jésus a affirmé clairement qu’il n’était pas venu abolir la loi et les Prophètes (Mt 5,175). Mais en quoi consistent pour Jésus la Loi et les Prophètes? Il le proclame tout aussi clairement un peu plus loin : faire pour les autres ce que nous aimerions qu’ils fassent pour nous (Mt 7,126). Cela s’appelle la règle d’or.

C’est ce que Jésus a accompli pour nous : il a donné sa vie pour que nous vivions en plénitude. Nous sommes donc invités à glaner, tant dans la vie de Jésus que dans les Écritures et dans les événements récents, pour découvrir en quoi peut bien consister pour nous vivre en plénitude.

La vie intérieure

Disons d’entrée de jeu que la vie en plénitude à laquelle Jésus fait régulièrement allusion, surtout dans l’Évangile de Jean, ce n’est pas la vie physique, ni la santé d’ailleurs. Il ne s’en est pas désintéressé pour autant, ses miracles en font foi.

Mais ce n’est pas de cette vie-là dont nous entretient Jean. La vie qui l’intéresse, c’est la vie intérieure, la Vie dans l’Esprit. Il l’explique magnifiquement dans l’entretien de Jésus avec Nicodème (Jn 3,3-7) :

Colombe - Symbole de l'EspritJésus lui répondit: « En vérité, en vérité, je te le dis: à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu. »
Nicodème lui dit:  » Comment un homme pourrait-il naître s’il est vieux? Pourrait-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère et naître? »
Jésus lui répondit: « En vérité, en vérité, je te le dis: nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.
Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit.
Ne t’étonne pas si je t’ai dit: Il vous faut naître d’en haut.
Traduction œcuménique de la Bible (TOB)

Pour accéder à la vie en plénitude, il nous faut naître d’en haut. Mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire, naître d’en haut? L’expression peut sembler compliquée, mais au fond elle est très simple, et c’est encore Jean qui nous l’explique le mieux (Jn 14,23) :

Jésus lui répondit: « Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole, et mon Père l’aimera; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure.
Traduction œcuménique de la Bible (TOB)

Naître d’en haut, c’est naître de l’Esprit qui nous permet d’accueillir en nous la présence et l’amour de Dieu. Jésus nous dit même que c’est avec le Père qu’Il viendra habiter chez nous si nous gardons Sa Parole. Les deux, et les trois de surcroît, puisqu’il convient d’inclure l’Esprit dans une telle communion, s’installent alors en nous à demeure. Que souhaiter de plus merveilleux?

Qui est ce Père?

Icône de la TrinitéMais ce Père qui vient ainsi habiter chez nous, n’est-ce pas le même Dieu dont Jésus nous disait qu’il s’intéresse à la vie physique du brin d’herbe et du petit moineau?

Ici il est important de bien distinguer entre la figure de Dieu que l’on peut tirer de certains livres de l’Ancien Testament et le Dieu Père dont nous entretient Jésus. Celui-ci ne s’est attardé aux centaines de prescriptions alimentaires et autres dont est farci l’Ancien Testament. Il s’intéresse d’abord à la vie sous l’angle de l’Amour.

Dieu tel que le concevait Israël se dévoile maintenant comme le Dieu de Jésus Christ. Si l’Ancien Testament parlait parfois de la tendresse de Yahvé pour son peuple, jamais avant Jésus n’avait-on entendu parler d’un Dieu Père dont l’amour infini s’invitait dans l’intimité de toute personne croyant en la parole de Jésus et la mettant en pratique.

Et pour qu’une telle merveille ait lieu, une seule condition : aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même.

Avec Jésus, nous voilà propulsé(e)s dans l’inédit total, dans l’incroyable, humainement parlant! Qu’un Dieu s’invite chez nous, aucun prophète avant comme après Jésus n’aurait pu ou osé imaginer une telle hardiesse dans l’Amour.

Si les rédacteurs de l’Ancien Testament n’y sont pas arrivés, se pourrait-il que des philosophes ou scientifiques aient pu accéder à une telle Révélation, grâce à la raison, avant ou après Jésus Christ? Encore moins.

Certains philosophes, tel Voltaire, ont bien essayé de concevoir un esprit concepteur ou créateur à l’origine d’un univers dont l’agencement n’en finit pas de nous émerveiller. Une telle démarche est valable, mais elle ne permet en rien de mieux comprendre les paroles et les actions de Jésus Christ au sujet de son Père qui est aussi notre Père.

Pascal avait deviné : non pas le Dieu des philosophes et des savants, mais le Dieu de Jésus Christ.

Et la nature?

Amour! Voilà ce que retenait Pascal après sa conversion. Voilà aussi ce que je voudrais que nous retenions du témoignage de Jésus : Dieu est Amour. Jean l’a répété à satiété, surtout dans sa première épître (1 Jn 4,8.167).

PaysageCela ne veut pas dire que la Création ne témoigne pas de la merveille pour nous d’être portés et même mis au monde par une nature des plus mystérieuses et des plus extraordinaires dans son évolution depuis quelques milliards d’années, depuis que la vie a commencé sur la Terre, bien que nous ne sachions pas encore clairement comment cela a pu se passer.

Les biologistes, les généticiens et les paléontologues entre autres arrivent à des précisions de plus en plus remarquables en ce domaine. Il n’en reste pas moins que le mystère est partout, aussi bien dans les cristaux de neige que dans la queue du paon ou dans le langage de l’être humain.

Nous n’avons aucunement besoin de récuser la science pour croire Jésus qui nous parle de l’Amour le plus réel qui soit. La foi est une chose, la science en est une autre. Mais les deux ont en commun, sinon l’Amour, du moins l’émerveillement.

La nature en effet n’est pas toujours amoureuse. Il n’est pas besoin de longs discours pour le démontrer.

Nous n’avons qu’à penser au 26 décembre 2004 lorsque le tsunami a frappé divers pays du Sud-est asiatique.

Où était Dieu? Voilà ce que demandent des milliers de personnes affligées à en mourir. Que pouvons-nous leur répondre? Que Dieu se préoccupe du moindre brin d’herbe, mais pas de leurs parents ni de leurs enfants disparus, sinon pour accueillir leur âme à leur décès? Que c’est une épreuve envoyée pour leur bien plus profond?

Il n’y a pas de réponse : le mystère de la vie est aussi insondable que celui de la mort. Une seule réponse est possible et elle est très simple : garder son cœur ouvert au mystère et aimer toujours davantage. Tel est le message de Jésus. Et c’est autant par sa vie que par sa mort qu’il en a rendu témoignage.

La vie humaine en plénitude

Mais la vie humaine en plénitude est-elle vraiment possible? Certainement pas si nous entendons par là une installation définitive dans l’harmonie totale : une sorte de Nirvana perpétuel sans la moindre difficulté. Il n’y a qu’à regarder la nature elle-même. La vie et la mort s’y côtoient, rien n’est fixe, tout change. Le changement et les catastrophes sont même la condition essentielle pour que la vie s’installe et progresse.

FleursPrenons les tremblements de terre. Pour qu’ils n’aient pas lieu, il faudrait que la croûte terrestre soit si rigide et figée qu’elle ne laisserait rien échapper de cette fournaise déchaînée sous sa surface. Plutôt qu’une planète vivante et porteuse de vie, nous aurions affaire à un astre mort et figé à jamais. Aucune vie n’aurait pu s’y installer, et nous ne serions pas là pour nous en étonner.

De même pour les « bons et les méchants » qui profitent à égalité des largesses de la nature et qui sont touchés de même par ses déchaînements. Jésus lui-même, en Matthieu 5,45, ne disait-il pas que si nous aimons nos ennemis, nous devenons ainsi fils de notre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes?

Vivre en plénitude donc, ce n’est surtout pas s’installer dans une sainte indifférence pour tout ce qui peut arriver. Au contraire, c’est vibrer aussi bien aux tourments qui affligent l’humanité qu’aux joies qui l’enivrent.

Et la plénitude spirituelle?

Tel est le lot de la vie humaine vécue en plénitude. Qu’en est-il de la vie spirituelle? Si l’on se fie aux témoignages des grands mystiques, il en est de même. Pourquoi devrait-il en être autrement? La loi de la vie n’est-elle pas naturellement la même partout, que cette vie soit extérieure ou intérieure?

Lavement des piedsPour arriver à la communion intime avec Dieu, il nous faut passer par des périodes de désert spirituel. La vie intérieure comporte cependant certaines différences par rapport à la vie naturelle. Car nous savons par les Évangiles que Dieu a un faible pour les petits et les souffrants.

« Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers », aime à répéter Jésus dans toutes sortes de paraboles : l’Enfant prodigue, la Brebis perdue, le Mauvais riche, la Femme adultère, etc. Comment expliquer un tel parti pris de Jésus? Sans doute son tempérament libre et direct y était-il pour quelque chose : Jésus n’aimait pas les dominateurs. Mais la vraie raison était possiblement plus profonde. Elle tenait sans doute au déséquilibre évident installé depuis toujours au sein même de la nature.

La prolifération en tout des mieux adaptés physiquement a poussé la nature à évoluer vers des animaux de plus en plus performants, jusqu’à produire l’être exceptionnel que nous sommes, nous les humains qui dominons présentement la Terre.

Et parmi nous, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. C’est donc envers ceux-ci que Jésus manifeste un clair préjugé favorable. Préjugé d’ailleurs qu’Il étend à tous ceux qui ressemblent aux enfants : les doux et humbles de cœur, ceux qui finalement sont à son image. Le Père, oui, fait lever son soleil aussi sur les méchants, mais c’est là un effet de la liberté laissée à toute la création.

Où Dieu était-il donc?

Cela nous ramène à la question de fond que se posent tant de gens devant l’incompréhensible affliction infligée par la nature à des centaines de milliers de gens touchés par la catastrophe du tsunami en Asie : « Mais où Dieu était-il donc en ce 26 décembre fatidique? » Certains, devant la détresse insondable des survivants, vont même jusqu’à envier le sort des disparus.

Pouvons-nous comprendre qui est le Père auquel Jésus s’est identifié? Certainement pas le Yahvé auquel Job a cru devoir rendre des comptes jusqu’à la prostration totale sur son fumier! Ni le justicier qui frappe indistinctement la Terre parce que les humains auraient fini par l’exaspérer par leurs débauches. Alors, s’Il est Amour, ce Dieu Père-Mère, où se cache-t-il donc?

Jésus a répondu tant et tant à une telle question :

  • Enfantdans le cœur de ceux et celles qui ressemblent aux petits enfants qu’Il a bénis;
  • dans le cœur donc qui s’ouvre à l’Amour;
  • dans la communion, là où deux ou trois sont réunis en Son Nom;
  • dans la souffrance de ceux qui restent après avoir tout perdu;
  • dans notre compassion, non pas évaluée à l’aune de nos dons extérieurs, mais à la mesure de notre ouverture intérieure.

« Voilà qui sont ma mère, mes frères et mes sœurs », continue de nous dire Jésus devant nos vies d’abord si animales, ensuite si humaines dans notre liberté grandissante, enfin si divines si nous voulons bien accueillir l’Amour et essayer de le répandre selon nos capacités. Tout est là : ainsi sont résumés la Loi et les Prophètes, comme l’a si bien rappelé Jésus.

  1. Jn 10,10
    10:10 Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance.
    TOB

  2. Homélie sur Genèse 3,7
    À quoi sert de dire que Jésus n’est venu que dans la chair qu’il a prise de Marie et ne pas montrer qu’il est aussi venu dans ma chair à moi?
    Origène, Homélie sur Genèse 3,7

  3. Adversus haereses, IV, 20, 7
    La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est de connaître Dieu.
    Saint Irénée, Adversus haereses, IV, 20, 7

  4. Dt 4,1
    4:1 Et maintenant, Israël, écoute les lois et les coutumes que je vous apprends moi-même à mettre en pratique: ainsi vous vivrez et vous entrerez prendre possession du pays que vous donne le SEIGNEUR, le Dieu de vos pères.
    TOB

  5. Mt 5,17
    5:17 N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abroger, mais accomplir.
    TOB

  6. Mt 7,12
    7:12 Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux: c’est la Loi et les Prophètes.
    TOB

  7. 1 Jn 4,8.16
    4:8 Qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu, puisque Dieu est amour.
    4:16 Et nous, nous connaissons, pour y avoir cru, l’amour que Dieu manifeste au milieu de nous. Dieu est amour: qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.
    TOB

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