Au moyen de paroles, de gestes et d’objets, la liturgie donne de communier au Mystère. Elle est au service de l’expérience croyante. C’est un service pour reprendre sa définition technique. Mais encore faut-il apprendre à goûter tout ce qu’elle a à offrir, à l’entendre, à voir, à la laisser nous toucher. La Semaine Sainte est par excellence un temps fort de vie liturgique. Cet article en propose une relecture.
La liturgie : un merveilleux espace de catéchèse
Parlant d’éduquer à la foi on aime évoquer la mystagogie. Le terme peut sembler un peu savant, mystérieux même à certains, pourtant nous connaissons tous la pédagogie. Elle est de même nature. Ce sont deux mots qui nous viennent du grec. Ils décrivent un processus d’accompagnement.
Dans un cas, quand il s’agit d’enfant en apprentissage, enfant se disant pais- paidos, on parle de pédagogie. Quand par ailleurs il s’agit d’un catéchumène qui vient d’être baptisé ou d’un confirmé un mot grec les désigne mustè – mustès qui se traduit par initié. Leur accompagnement s’appelle la mystagogie.
La mystagogie est donc une démarche d’accompagnement qui permet d’entrer plus avant dans l’univers de la foi. Si habituellement nous l’associons à la catéchèse, il ne faut pas perdre de vue que le premier espace de formation catéchétique demeure la liturgie. Par son contact direct avec la Parole et par les gestes qui l’accompagnent, la mystagogie en est une relecture offerte aux catéchumènes.
L’initiation chrétienne est un processus continu. Les initiés d’expérience que nous sommes avons toujours besoin de mystagogie. Alors pourquoi ne pas vivre dans cette perspective les grandes liturgies de la Semaine Sainte. C’est un temps de grâce, une occasion unique de se laisser accompagner pour plonger au cœur de l’aventure chrétienne et de se redire quelques essentiels de la foi.
Les rameaux : mort et victoire
Une célébration vécue en deux temps, en deux tonalités. L’une joyeuse et triomphale, l’autre tragique, mais avec cette particularité de nous offrir une lecture pascale de la Passion. Il s’agit là, pour les croyants, d’un apprentissage majeur.
La joyeuse commémoration de l’entrée de Jésus à Jérusalem comme prélude à la Passion peut étonner, d’autant plus qu’elle vient interrompre l’austérité du Carême.
Mais elle s’est imposée, comme s’est imposée dans la rédaction des évangiles l’association Transfiguration, Entrée triomphale et Passion. Un chrétien ne peut faire abstraction de la résurrection même quand il médite la Passion. Tout comme les Évangiles, la liturgie ne craint pas de l’attester.
Un bel exemple est celui de la Fête de la Transfiguration célébrée le 6 août, quarante jours bien comptés – un Carême – avant la Fête de la Croix Glorieuse le 14 septembre. Elle donne le ton à l’ensemble de la démarche.
Certes, dès que la liturgie des Rameaux se termine, le ton change pour faire place à la Passion. Mais c’est bien dans une atmosphère de résurrection que Jésus entre à Jérusalem. Elle sert nécessairement d’éclairage aux chrétiens invités à relire la Passion du Christ. Évidemment une tension existe entre les deux réalités, la couleur rouge des vêtements présente aux deux liturgies est là pour le rappeler.
Le triduum pascal (du latin tri et dies trois jours)
De quoi s’agit-t-il? À l’origine, les chrétiens célébraient dans la nuit sainte de Pâques la totalité du mystère pascal de la mort et de la résurrection du Christ. Assez tôt pourtant, on a senti le besoin de développer cette célébration sacramentelle en d’autres célébrations qui parleraient davantage au cœur et à l’imagination, en évoquant les événements majeurs de la Passion de Jésus, du Dernier repas pris par ses disciples, de sa mort à sa Mise au tombeau et de sa Résurrection.
Ce besoin naquit d’abord à Jérusalem, où l’on aimait mettre ses pas dans ceux du Seigneur, du Cénacle au Mont des Oliviers et de Gethsémani au Golgotha. Dès la fin du 4e siècle, la tradition des trois jours saints est déjà attestée tant à Jérusalem qu’à Milan avec saint Ambroise. C’est le triduum pascal. Commencé au soir du jeudi saint, il s’achève le dimanche de Pâques.
Jeudi saint
Toute cette liturgie est une catéchèse. Les paroles proclamées rappellent d’abord que l’eucharistie s’inscrit dans la tradition des repas rituels juifs. Elle rappelle surtout qu’elle est un héritage reçu des apôtres.
C’est bien ce que Paul affirme quand il écrit à la communauté de Corinthe : Pour moi en effet, j’ai reçu du Seigneur, ce qu’à mon tour je vous ai transmis… (Cor 11,23). Mais le point culminant des pages d’Écriture proposées nous redit l’institution de l’eucharistie telle que vue à travers les yeux de Jean. Et ce choix n’est pas innocent.
Jean est le seul à ne pas rapporter les paroles de Jésus sur le pain et la coupe. Soixante ans après les événements, quand il évoque le dernier repas de Jésus il retient le geste du Serviteur, le Lavement des pieds. Il pose ainsi la dimension éthique de l’eucharistie, de toute eucharistie. Or celle-ci est incontournable. C’est elle qui l’empêche de se refermer sur elle-même pour en faire une dévotion isolée de la vie et du quotidien.
L’eucharistie – toute eucharistie – est un lieu de présence, un lieu d’attention à l’autre, un moment privilégié de vérification de la qualité du service que je rends à mes frères et de ma relation au prochain. Une liturgie ne peut être davantage catéchétique.
Vendredi saint
Le désir d’évoquer la Passion du Christ, son arrestation, son procès, sa mort et sa mise au tombeau tout comme la dernière soirée et le repas qui précède constitue comme la charnière de nos trois jours. C’est ici que tout bascule. Que tout donne sens à ce qui va suivre.
Et voilà que par l’évocation de ces heures tragiques qui nourrissent nos mémoires, on rejoint le cœur même de ce qui a donné naissance aux évangiles. C’est le récit des événements entourant la Passion et les témoignages sur la résurrection qui a d’abord circulé dans les communautés. C’est autour de ce noyau que viennent par la suite se greffer les récits de miracles, les paraboles, les enseignements et tardivement le récit des événements entourant la naissance de Jésus.
La liturgie du Vendredi Saint : une longue liturgie de la parole comme au temps des origines. Nous lisons en son entier le récit de la Passion, traditionnellement celui de Jean. Bien des questions pourraient guider notre audition.
Avec quel personnage me serais-je identifié?
Un spectateur? N’aurais-je pas été davantage parmi les disciples qui ont fui le danger, comme Pierre qui a renié, comme Judas qui a trahi? Ou encore comme Pilate qui refuse de choisir entre le bien et le mal et qui finalement prend la mauvaise décision et tente de paraître innocent en se lavant les mains?
Et la Passion dans tout cela, trouve-t-elle une explication?
Jésus savait-il tout ce qui allait lui arriver?
Des réponses s’esquissent dans le récit, les évangiles deviennent alors des guides, mais il ne faut pas oublier qu’ils ont été écrits tardivement. Marc le plus ancien de nos évangiles est rédigé entre les années 65-70, Matthieu et Luc vers les années 80, Jean, le plus jeune, vers les années 90 soit près de soixante ans après les événements. Le cœur est commun, mais les détails divergent.
Que faire avec? Y a-t-il lieu de se demander quel portrait de Jésus est le plus exact? Celui de Marc où Jésus tombe dans les abîmes de la solitude pour ensuite être justifié? Celui de Matthieu où Jésus est la victime innocente dont la responsabilité de la mort doit être assumée par un grand nombre? Celui de Luc où Jésus se soucie des autres et accorde son pardon avec bonté? Ou encore celui Jean où Jésus règne victorieusement du haut de la croix et maîtrise tout ce qui arrive?
Tous les quatre nous sont donnés sous l’inspiration de l’Esprit et aucun n’épuise la compréhension de Jésus.
Samedi saint
La grande Vigile pascale est elle aussi à l’image des antiques liturgies. Mais que sont-elles devenues? Elles ne sont plus vécues dans la nuit comme elles le devraient. Pourtant veiller une fois dans l’année, autour d’éléments visuels tellement éloquents. Une veillée vécue en quatre temps, en quatre liturgies successives : celle du feu, de la parole, de l’eau et de l’eucharistie.
Le feu
La première est celle du feu et de la lumière évoquée par les rites qui entourent le cierge pascal. Son symbole était tellement puissant que le Pape en avait gardé l’exclusivité jusqu’au cinquième siècle. Rappelons qu’à cette époque, on se retrouvait encore autour de l’évêque de Rome pour célébrer la résurrection. Mais la symbolique est si éloquente et les pressions se firent telles, que lors de son bref pontificat, pendant les années 417 et 418, le Pape Zosime, étend à toutes les églises le privilège de bénir le cierge pascal.
Faut dire que l’objet parle. Qui a goûté à la magie et au pouvoir de la lumière ne serait-ce que devant une simple bougie, peut soupçonner ce qui se cache sous les mots de la louange pascale.
Qu’éclate dans le ciel la joie des anges,
Qu’éclate de partout la joie du monde,
Qu’éclate dans l’Église la joie des fils de Dieu!
La lumière éclaire l’Église,
La lumière éclaire la terre,
Peuple, chantez!
Nous te louons, splendeur du Père, Jésus, fils de Dieu!
Une autre image saisissante de la liturgie de la lumière qui ouvre la vigile pascale est cette lente marche dans le noir à la suite du cierge pascal porté par le diacre. Elle rappelle la marche des Israélites à travers le désert. Le jour une nuée les accompagne, la nuit une colonne lumineuse les précède.
La symbolique de la procession liturgique à l’image des enfants d’Israël, fait de leur marche, la nôtre. C’est à nous maintenant de voir nos routes éclairées par la Lumière du ressuscité. Pour qui n’a pas craint d’identifier dans sa vie quelques zones d’ombre, cette liturgie du feu n’en est que plus saisissante.
Et nous qui portons nos petites flammes vacillantes dont la clarté ne diminue pas quand on en transmet la flamme, comme le chante l’hymne pascal, nous voici invités à vivre nos passages, passages des ténèbres à la lumière, du péché à la grâce, de la mort à la vie.
O nuit de vrai bonheur !
La parole
La table est ainsi mise pour l’écoute de neuf pages d’Écriture, choisies parmi les plus belles. Sept sont tirées du Premier Testament et deux du Nouveau. C’est tout le parcours de l’Histoire du Salut qui est ainsi évoquée. Nos habitudes célébratoires abrègent souvent cette longue liturgie. D’en mieux saisir l’importance et la valeur devrait nous inciter à relire et à méditer personnellement l’ensemble de ce choix de textes. Quelle merveilleuse catéchèse!
L’eau
Que l’on soit dans une modeste chapelle qui ne dispose pas d’un baptistère parce que les baptêmes n’y sont pas célébrés, où dans une église paroissiale, la célébration de l’eau est un incontournable. Par sa symbolique elle devient, soit ce lien vital qui met en communion les catéchumènes qui sont baptisés avec la mort et la vie du Ressuscité, soit elle est le rappel de celle qui un jour a coulé sur nos fronts.
Il est fascinant de suivre l’eau à la trace à travers les Écritures. Du récit de la Genèse, en passant par les eaux de Mériba , celles de la Mer Rouge et du Jourdain jusqu’aux premiers baptêmes de la communauté primitive. Et c’est toujours la même eau.
L’eucharistie
La Vigile s’achève sur le mémorial de la Cène comme au soir du Jeudi Saint alors que commençaient les Jours Saints. L’eucharistie de Pâques n’affirme qu’avec plus d’éclat que la Coupe et le Pain rompu deviennent Corps et Sang de quelqu’un qui a laissé la vie envahir la mort. Désormais Jésus ne peut plus avoir d’autre présence que celle du Ressuscité.