Si le gris de la cendre évoque aisément la mort et l’ennui, n’oublions jamais que Dieu peut en faire surgir la vie.
Pour se préparer à entrer en Carême et à vivre le Mercredi des Cendres …
Un signe qui a une longue histoire
Un geste inusité
Mais pourquoi donc? Pourquoi se barbouiller le front ou la tête avec de la cendre? Pourquoi, une fois par année, un certain mercredi, poser ce geste pour le moins inusité et se faire dire :
« Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière… » , ou encore : «Convertis-toi… » ou plus simplement : « Reçois ces cendres, elles disent ton désir de vivre le Carême… »?
Le signe a pourtant une longue histoire. Les cendres veulent évoquer la poussière et la terre d’où l’on vient. Mais pourquoi?
Dans la Bible
Adam « le poussiéreux »
Le grand livre des Écritures à peine ouvert, l’évocation de la poussière nous renvoie aux origines du monde. Dans le premier récit de la création de l’univers et de l’humanité, il est dit que « nous sommes poussière et que nous y retournons » (Gn 3,19).
D’ailleurs, en fonction des traductions possibles, les textes évoquent la poussière, la terre ou l’argile (adamah en hébreux) dont est fabriqué le premier humain. Le nom qui lui est donné, Adam, c’est-à-dire « le terreux », « le poussiéreux », s’y réfère directement. Quant à la cendre, elle a précisément la propriété d’évoquer la poussière primordiale.
Le deuil
Tout en rappelant la fragilité des origines, l’image s’est élargie et en est venu à suggérer tantôt le deuil, tantôt la représentation du péché tout comme celle du repentir.
Ainsi dans le Livre d’Esther (4,1) on raconte que « Mardochée, ayant appris tout ce qui se passait (l’extermination de son peuple a été planifiée), déchira ses vêtements, s’enveloppa d’un sac et se couvrit de cendre. Puis il alla au milieu de la ville en poussant avec force des cris amers. »
Le péché et le repentir
Dans l’évangile de Matthieu la perspective est différente. Pensant aux villes de Chorazin et de Bethsaïde qui ne se sont pas converties après son passage, Jésus dit : « Si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties, en prenant le sac et la cendre » (Mt 11,21).
Ainsi le geste de se couvrir de cendre est riche de plusieurs sens. D’ailleurs, dans la tradition chrétienne on fait allusion aux cendres en employant le pluriel. Inspiré des Écritures, il traduit le désir de se montrer devant Dieu à la fois, fragile, comme aux origines du monde et pécheur, les deux attitudes conduisant tout naturellement à implorer la miséricorde du Seigneur.
Notre Mercredi des Cendres trouve là tout son sens et met en perspective le temps de grâce qu’est le Carême. N’est-il pas là pour nous aider à reconnaître nos limites et nos fragilités? Ne nous est-il pas offert pour s’ouvrir davantage au pardon et à la miséricorde?
Les cendres parlent de notre condition humaine
Ce n’est peut-être pas sans besoin
Notre quotidien n’est pas toujours reluisant. Reconnaissons qu’il s’y trouve facilement de la poussière et de la grisaille appelé tout simplement péché. Parfois ce seront même des germes de mort.
Il nous arrive tous d’avoir nos mauvais jours. C’est alors que l’ennui, les replis, les refus, s’installent dans nos vies. C’est alors qu’elles prennent un goût de cendre, qu’elles prennent la couleur de la cendre. Or c’est précisément à cette prise de conscience que nous sommes invités en posant le geste très ancien de recevoir les cendres sur nos têtes, sur nos fronts ou parfois dans nos mains.
Mais qu’expriment-elles ces cendres?
N’est-ce pas ce qui reste quand tout est brûlé, un peu comme ces amitiés que l’égoïsme laisse mourir, un peu comme ces amours qui meurent de ne pas avoir pu être fidèles?
N’est-ce pas aussi un signe de notre petitesse et de nos pauvretés à créer des choses qui durent? N’évoquent-elles pas la fin des apparences, la fin des masques qu’on aime parfois porter pour faire bonne figure?
Par ailleurs, si nous regardons ce qu’il y a de gris dans nos vie, ce n’est pas pour nous enfoncer dans nos misères ou pour nous barbouiller de nos échecs. Si nous acceptons de recevoir un peu de cendre, c’est pour prendre conscience de ce que nous devenons si l’on ne se redresse pas de toute la force de nos esprits et de nos cœurs, si nous n’osons pas nous risquer avec Dieu.
Ces cendres n’évoquent-elles pas aussi cette vilaine poussière que le vent entraîne et qui s’infiltre partout? Mais rappelons-nous que la poussière est le signe de gens qui sont en route, de gens qui marchent, qui se hasardent. Surtout n’oublions pas que sous la poussière se cachent souvent des trésors et des choses merveilleuses.
Les cendres sont là pour nous rappeler la faiblesse de ceux qui marchent, leur fatigue, leur chute. Elle sont là aussi pour nous redire que sous la cendre, les braises ne demandent qu’à se mettre à rougeoyer, que l’arbre mort ne demande qu’à reverdir avec le printemps.
J’ai un ami céramiste qui utilise de la cendre de bois pour émailler ses pièces. À haute température il obtient de beaux reflets cuivrés. Quant au maître verrier, il appelle grisaille la pâte vitrifiable utilisée pour prolonger les plombs et raffiner son dessin. Comme quoi tout ce gris peut produire de la beauté. La grisaille qui nous habite ne demande qu’à faire de même.
Un signe
Les cendres sont un signe. Elles disent notre désir de vivre le carême. Recevons-les comme l’expression d’un choix, celui de prendre la route qui conduit à la lumière de la résurrection.
Laissons-nous façonner par la Parole de Dieu. Permettons à l’apôtre Paul de nous redire : « C’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut » (2 Cor 5,20). Sachons reconnaître que les pécheurs que nous sommes avons besoin de pardon et de miséricorde. Si le gris de la cendre évoque aisément la mort et l’ennui, n’oublions jamais que Dieu peut en faire surgir la vie.
Activité – L’expérience de la cendre
Projet d’activité avec les petits et pourquoi pas les grands…
Dans les jours qui précèdent ou qui suivent le Mercredi des Cendres, histoire de prolonger ou de préparer sa réflexion, ou le jour même, surtout si l’on n’a pu se joindre à une célébration, je suggère une activité toute simple. Un véritable apprentissage emprunte toujours le chemin d’expériences auxquelles l’on se rend présent.
Inviter les participants à prendre place autour d’une table basse sur laquelle sera disposée une vasque préférablement transparente et remplie d’une généreuse quantité de cendres. De la vraie, va sans dire, pas de cette suie résultant de la combustion de vieux rameaux de palme, sinon nous voilà devant une surcharge symbolique qui risque toujours d’occulter l’essentiel.
Quelques branches mortes ou de bois sec seront disposées tout autour et peut-être une ou deux fleurs rouges évoquant la braise. Puis, faisant corps avec l’ensemble, un bel exemplaire des écritures.
Dans un premier temps, en silence, inviter les participants à bien s’imprégner de ce qu’ils ont devant les yeux. Puis échanger avec eux sur ce qu’ils voient, sur ce que ces objets évoquent, sur leur signification.
Dans un deuxième temps, lire de brefs passages de la Bible en les contextualisant.
Du livre de la Genèse
La création de l’homme : Adam « le terreux » « le poussiéreux » (de « adamah » en hébreux, la terre, la poussière) un nom qui dit bien l’origine de l’homme.
« Il n’y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car Yahvé Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol. Toutefois, un flot montait de terre et arrosait toute la surface du sol. Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la poussière du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant. Yahvé Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé. » (Gn 2,5-8)
« A la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré. Car tu es poussière et tu retourneras à la poussière. » (Gn 3,19)
« Yahvé répondit à Abraham : Si je trouve à Sodome cinquante justes dans la ville, je pardonnerai à toute la cité à cause d’eux. Abraham reprit : Je suis bien hardi de parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre. Mais peut-être, des cinquante justes en manquera-t-il cinq : feras-tu, pour cinq, périr toute la ville? Il répondit : Non, si j’y trouve quarante-cinq justes. (Gn 18,26-28)
Du Livre d’Esther
Au temps du Roi Assuérus, Mardoché l’oncle d’Esther vient d’apprendre qu’Haman est à tramer un complot pour exterminer son peuple. C’est alors qu’il clame son deuil et sa douleur de façon bien particulière :
« Mardochée, ayant appris tout ce qui se passait, déchira ses vêtements, s’enveloppa d’un sac et se couvrit de cendre. Puis il alla au milieu de la ville en poussant avec force des cris amers. » (Es 4,1)
De l’évangile de Matthieu
« Si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties, en prenant le sac et la cendre ». (Mt 11,21)
Dans un troisième temps, déposer dans la main des participants un peu de cendre afin qu’ils puissent y toucher, l’étendre avec leurs doigts, la manipuler…
Puis leur suggérer les pistes de réflexions proposées dans le texte qui accompagne l’exercice : Se barbouiller de cendres.
… la référence aux Écritures… le gris de nos vie, son goût de cendre… la poussière sur la route… la braise qui rougeoie sous la cendre… l’artiste qui en tire un trésor…
Dans un quatrième temps, les inviter à se débarrasser de leurs cendres soit en secouant leurs mains, en soufflant légèrement… et leur poser la question :
Et maintenant… que reste-t-il…? Rien?
Et s’il restait une invitation… celle de s’approprier ce temps de grâce qu’est le Carême.
Pour conclure
Seigneur,
Posée sur le front, sur la tête ou dans les mains,
la cendre évoque la poussière et la terre,
celle d’où je viens,
celle où je retournerai.
Elle me raconte surtout la grisaille
qui encombre mon coeur
et me rappelle que j’ai besoin de ton pardon.
Elle me rappelle aussi que ton amour est là,
caché sous la cendre
prêt à ranimer la braise.
Alors, guide mes pas sur la route du Carême;
qu’elle devienne pour moi un chemin de conversion
où la lumière de Pâque ne sera que plus belle.
Amen.
Un chant : Changez vos coeurs – G162