Saint Augustin voit le jour au milieu du 4e siècle de l’ère chrétienne. Alors que l’Empire romain se prépare à connaître son déclin, le christianisme s’est répandu tout autour du bassin méditerranéen. Né d’un père païen et d’une mère chrétienne, c’est de haute lutte qu’il se convertit. Il lui faut apprendre à apprivoiser l’acte de croire. Il ne faut pas s’étonner que les chemins qui y conduisent, comme la catéchèse, l’aient toujours préoccupé.
Un feu d’artifice
Étrange histoire que celle d’Augustin devenu saint Augustin. Fascinante aussi1. C’est un nord-africain, aujourd’hui on dirait qu’il était algérien.
Né un 13 novembre de l’an 354 dans une famille de culture latine – le nord de l’Afrique est alors l’une des plus riches provinces romaines – il parle aussi le berbère. Professeur, philosophe, théologien, polémiste, chercheur, érudit, mécréant converti, père d’un enfant, évêque : un feu d’artifice. Il meurt en 430.
Sa vie durant il a enseigné et prêché. Grâce à ses équipes de sténographes comme c’était la coutume à l’époque, il a écrit et publié des centaines de livres et de textes les plus divers. Rares sont les auteurs anciens dont l’ensemble de l’œuvre a été ainsi conservée.
Elle a aussi connu une large diffusion, et ce dans toutes les langues. Encore aujourd’hui on lit Augustin. La collection La Pléiade a réuni ses écrits dans trois volumes qui font près de cinq mille pages.
L’excessif Augustin
Il y a quelques années, à la suggestion de Jean-Paul II, le comédien Gérard Depardieu a entrepris une tournée des grandes cathédrales européennes pour y présenter en lecture des extraits des Confessions. Il est même venu au Québec.
Le 23 novembre 2005, j’ai pu le voir et surtout l’entendre à la Basilique Notre-Dame de Montréal. Il m’a bouleversé. J’avais l’impression d’avoir devant moi « l’énorme » Augustin, l’excessif Augustin, et d’enfin comprendre le pourquoi d’affirmations comme son : « Hors de l’Église point de salut ! ».
Il avait réalisé que lui, sans l’Église, il était perdu. Elle était son salut. Il le criait haut et fort, pour lui d’abord, avant d’en faire ce qui prit non sans ambiguïté l’allure d’un dogme.
Le combat de toute une vie
Pour beaucoup, Augustin n’est demeuré que le grand adolescent brillant et libertin que nous raconte les Confessions. Mais ces confessions sont d’abord celles d’un combat, le combat de la grâce, combat pour la vérité aussi. Sa vie durant il la cherchera, car elle ne s’impose pas toute faite.
Augustin veut comprendre, il tâtonne, il tente des formules. Certaines ont fait école, d’autre long feu quand elles sont relues avec les progrès de l’exégèse et de la théologie. Augustin lui-même en était conscient.
À la fin de sa vie alors que dans ses Révisions il relie systématiquement ses écrits, il ne craint pas d’affirmer : « qu’il a soulevé plus de problèmes qu’il n’a trouvé de solutions, que certaines sont peu solides et que les autres renvoient à d’autres problèmes. »
Augustin et la Bible
Parlant de la Bible, Augustin reconnaît les difficultés qu’elle lui a causées : « Bien des choses y sont exprimées sur un mode plutôt simple, accommodé aux âmes qui se traînent à terre, afin que les réalités humaines leur permettent de se dresser vers les divines. »
Il faut savoir que dans sa jeunesse il n’a jamais lu l’Ancien et le Nouveau Testament. Ce n’est que par sa mère qui les lui raconte qu’il connaît de nombreux épisodes des Écritures.
La célèbre Vulgate qui allait enfin rendre vraiment accessible le trésor des Écritures est en cours de traduction à Rome par saint Jérôme. Augustin ne dispose donc que d’une version bien médiocre appelée la Vieille Latine ce qui lui fait écrire : « Ce livre me parut indigne d’être comparé à la majesté d’un Cicéron. »
Sa déception est grande. Il n’arrivait pas à en saisir ni la simplicité, ni la profondeur surtout qu’il n’était pas insensible aux contradictions, aux invraisemblances pas plus qu’aux récits violents ou scandaleux qui s’y trouvent.
Augustin est un homme de grande culture. Il en vient à comprendre que l’explication et la compréhension des Écritures suppose la connaissance des institutions et des habitudes de vie des peuples de la Bible. Il sait la nécessité de posséder le sens exact des mots, des nombres, des rythmes propres aux langues hébraïque et grecque.
Il a retenu les leçons d’Ambroise et de Jérôme. Des clés de lecture s’imposent. Qui annonce l’Évangile doit les avoir en main.
Augustin catéchète
Ce constat aura une incidence profonde sur sa pédagogie catéchétique ce qui ne peut être que précieux aux catéchètes d’aujourd’hui.
Augustin était d’abord un professeur. Pendant plusieurs années il a enseigné ce qu’on appelle aujourd’hui les humanités gréco-latines. C’était son rude gagne-pain. En son temps comme aujourd’hui il n’était pas toujours simple d’éveiller à la connaissance des enfants et de grands adolescents turbulents comme il l’avait été lui-même.
Il a donc appris son métier à la dure, mais n’a jamais oublié la leçon. Elle lui sera plus que précieuse quand l’enseignement de la doctrine chrétienne particulièrement auprès des catéchumènes deviendra sa préoccupation.
Il sait par expérience qu’il faut s’adapter à son public. Il connaît les pièges et les limites de l’enseignement magistral. L’ancien maître d’école n’est jamais bien loin des conseils retrouvés dans la littérature qu’il destine à ceux qui préparent les futurs baptisés.
Trois semblent vouloir s’imposer :
Dialoguer
Pour Augustin la catéchèse n’est pas une leçon. Elle ne doit pas l’être. Elle sera un dialogue permanent entre le candidat au baptême et celui qui évangélise. Il estime nécessaire d’entendre le catéchumène, de comprendre la démarche qui l’a conduit au christianisme.
Dis en termes contemporains, c’est ce qui permet au catéchète de discerner le profil du candidat et de l’accompagner en fonction de ses besoins. N’est-il pas à nous parler de « dialogue pastoral » et « d’accompagnement personnalisé » ?
Ne pas ennuyer
Augustin a œuvré autant en milieu populaire que cultivé. Il a accompagné des catéchumènes très instruits. Il savait pertinemment qu’il ne devait pas les ennuyer à leur apprendre ce qu’il savait déjà. Alors ses conseils se font clairs. La présentation de la foi chrétienne tiendra compte du catéchumène et de ses connaissances.
Guider
Par ailleurs si un candidat au baptême est peu ou pas scolarisé, le catéchète doit au contraire être un guide qui conduit pas à pas dans la découverte des saintes Écritures.
C’est ici que l’on prend la mesure de la sollicitude d’Augustin qui avait compris ce qu’était la mystagogie, cet art d’accompagner la personne qui vient d’être initiée aux mystères de la foi par la célébration d’un sacrement.
Le catéchète est comme un père ou une mère tenant par la main un enfant qui apprend à marcher. La mystagogie est alors bien loin d’une ennuyeuse leçon de catéchisme.
Un assoiffé de Dieu
Sa vie durant, Augustin aura cherché à comprendre, à codifier, à partager ses découvertes tout en sachant ne jamais être arrivé au bout de son idéal. Il a vécu soixante-seize ans. Un psaume l’a toujours accompagné dont souvent il citait les versets :
Comme languit une biche après l’eau vive
ainsi languit mon âme vers toi, mon Dieu.
Ps 41,2
- Les détails biographiques de cet article sont tirés de l’ouvrage de Catherine Salles, Saint Augustin, un destin africain, Desclée 2009, 387 p.