Suivre la loi de son être intérieur. Il s’agit de vivre en harmonie avec les mécanismes internes de sa propre nature afin de devenir pleinement humain. Comme l’affirme le P. Boulad : C’est seulement par l’amour et la vérité que l’être humain peut avancer dans la liberté véritable, la liberté de l’Esprit. L’Esprit nous invite à vivre de la liberté du Christ.
Cet article a été rédigé à partir de l’ouvrage « Freedom beyond freedom » (p. 49-70) par Henri Boulad s.j., Éditions Jésuites, Caire, Égypte, 2008, 189 p.
De quel Dieu parlons-nous dans le christianisme?
Dieu est-il comme un grand patron à qui nous devrions nous soumettre et obéir à sa loi qui nous serait imposée de l’extérieur?
Quand nous employons l’expression « loi divine », de quoi parlons-nous au juste?
L’évangéliste Jean jette un éclairage tout particulier sur la nature des rapports que le Dieu de Jésus-Christ entend établir avec l’être humain :
Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. (Jn 15,15)
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous?
Vous m’appelez « Maître » et « Seigneur », et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous.
Amen, amen, je vous le dis : un serviteur n’est pas plus grand que son maître ni un envoyé plus grand que celui qui l’envoie. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. (Jn 13,12-17)
Comme l’atteste l’Évangile, le désir de Jésus est d’établir une relation d’amitié avec ses disciples.
De plus, lui le « Maître » et « Seigneur » épouse l’attitude et le comportement du « serviteur », c’est-à-dire d’une personne qui donne et se donne. Quel renversement!
Qui plus est, l’évangéliste Jean nous rappelle que Jésus est l’image parfaite du Dieu invisible. Par son être, ses paroles et ses gestes, Jésus incarne la psychologie et la manière d’être du Dieu vivant :
Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie; personne ne va vers le Père sans passer par moi.
Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. »
Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père; cela nous suffit. »
Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : « Montre-nous le Père »?
Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres. (Jn 14,6-10)
Le Dieu révélé en Jésus-Christ, le « tout-puissant » comme le rappelle à souhait la liturgie, est un « tout-puissant » qui désire établir une relation d’amitié avec les êtres humains dans un esprit de service comme s’il était notre égal. « L’amitié se fait entre égaux », dit Aristote.
Voilà pourquoi certains liturgistes n’hésitent pas à qualifier le « Dieu tout-puissant » de « tout-amour », dans la foulée de la lettre de Jean :
Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. (1 Jn 4,7-8)
Comme le dit le P. Boulad, s’il y a « loi divine », elle n’est certes pas celle d’un Dieu aux allures de grand patron qui imposerait sa loi du haut de son ciel dans le but de façonner ses serviteurs à sa discrétion. Ce n’est pas le message de l’Évangile.
Dieu est Esprit, et c’est du dedans, lui qui est « le fond, du fond, du fond » comme aime à le dire le P. Boulad, que Dieu agit.
Un simple coup d’œil à la nature et la création tout entière nous laisse deviner que la Vie est à l’œuvre dans toute sa force, mais de manière cachée et discrète tout à la fois.
Alors, qu’est-ce que suivre la « loi divine »?
Le P. Boulad n’hésite pas à affirmer qu’il s’agit de suivre la loi de son être intérieur :
Bref, il s’agit de vivre en harmonie avec les mécanismes internes de sa propre nature afin de devenir pleinement humain. (Henri Boulad)
Dans un premier article de cette série sur « L’appel à la liberté », nous disions que nous avons à « devenir libres ».
La personne mature décide par elle-même, selon les circonstances, de ce qui est bon ou néfaste pour elle.
La personne sage sait ce qui la construit ou la détruit.
La loi de la vie et de la croissance, comme celle de la liberté et de la sagesse nous habitent. Elles ne font qu’un avec la loi de Dieu. Comment en serait-il autrement?
Loin d’être libertinage où il s’agirait de vivre à l’encontre des mécanismes internes de son être, la liberté chrétienne est celle d’une vie basée sur la vérité de son être polarisée par l’amour. Comme le disait Saint Augustin :
« D’abord la vérité, ensuite la charité. »
« Aime et fais ce que tu veux. »
Le christianisme est une invitation à entrer dans un monde nouveau dans lequel la nouvelle loi consiste en un seul mot : « Aimer ».
Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent;
la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice.
Le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin.
(Ps 84,11-14)
Si j’aime, si je vis dans la vérité, je ferai toujours la volonté de Dieu. Dieu n’est pas là à m’espionner au-dessus de mon épaule.
L’appel à l’amour est le signe par excellence de l’homme qui prend le chemin de la liberté véritable, d’une personne qui vit en harmonie avec la « loi divine ».
Comme l’affirme le P. Boulad :
C’est seulement par l’amour et la vérité que l’être humain peut avancer dans la liberté véritable, la liberté de l’Esprit. L’Esprit nous invite à vivre de la liberté du Christ.
Spiritualité du devoir ou du désir?
Si la loi de Dieu se loge au-dessus de nos têtes à l’instar d’un corps étranger, pas étonnant que l’homme moderne épris de liberté, de créativité et d’initiative se rebelle contre une telle loi.
Alors que beaucoup de personnes cherchent un sens à leur vie, Thérèse de Lisieux, qu’on pourrait qualifier de sainte moderne, affirmait que le désir d’aimer était le seul qui la comblait vraiment.
Quel est ton désir? Quelle est ta soif? Qu’est-ce qui te faire vivre? Qu’est-ce que tu voudrais être? Qui cherches-tu? (Jacques Gauthier, La petite voie avec Thérèse de Lisieux, Novalis, 2018, p. 42)
L’Évangile nous révèle un Dieu étonnant qui a besoin de nous. Un Dieu qui veut travailler avec chacun d’entre nous à la réalisation d’un grand but : l’avènement d’un « Royaume » de paix, de vérité, de justice et d’amour.
Il est très consolant et valorisant de penser que nous ne sommes pas les serviteurs d’un Dieu qui nous imposerait sa loi du dehors, mais que nous sommes appelés à être l’ami de ce formidable Ami, et à coopérer à l’édification d’un grand projet qui s’enracine à même nos désirs les plus profonds, car telle est la manière d’être et d’agir du Dieu qui est Esprit et « tout-amour ».
Un véritable renversement de perspectives
Dans l’Ancien Testament, il est notamment question de nombre de pratiques et de lois qui sont présentées comme étant « de Dieu » ou « voulues par Dieu ».
Certes, quand on pense aux dix commandements, nous sommes en présence de repères qui fondent un vivre-ensemble harmonieux.
Les spécialistes de la Bible reconnaissent, d’autre part, que plusieurs lois ou pratiques de l’Ancien Testament (et même du Nouveau) portent la marque de la culture du temps.
À tout vouloir sacraliser ou à perdre la finalité d’une loi comme le sabbat par exemple, on risque de faire dire à Dieu ce qu’il ne veut pas dire, notamment pour le monde d’aujourd’hui.
Et ce n’est pas tout. L’apôtre Paul, qui était un grand connaisseur de la Loi de Moïse, expérimentait son incapacité à la mettre en pratique comme il le souhaitait.
De fait, l’expérience nous apprend à maintes reprises qu’il ne suffit pas de savoir, mais aussi de vouloir et de pouvoir.
Voilà pourquoi la vie selon l’Esprit est si capitale pour l’apôtre Paul. C’est le don de la grâce qui fait vivre.
L’Esprit du Ressuscité nous donne la force ainsi que la lumière pour l’édification d’un monde où il fait bon vivre. L’Esprit est créateur et inventif. L’être humain est appelé à coopérer à son action bienfaisante.
C’est ainsi que l’être humain, partenaire de Dieu, participera à l’édification de la société et à la mise en place de lois et de repères qui favorisent l’humanisation et la vie.
Dans la mesure où ces lois sont au service des droits de l’homme, des droits naturels et des valeurs humanisantes comme fondamentales, elles sont d’inspiration divine.
Plus important encore, le chrétien qui vit en docilité à l’Esprit bénéficie de la grandeur d’âme requise pour vivre et aller au-delà des lois, si bonnes soient-elles.
Il sait faire les choix qui sont conformes à la raison et qui contribuent au bien-être individuel et collectif.