Nous affirmer dans le don de soi-même

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L’être humain n’a pas choisi d’exister, et pourtant son vécu atteste qu’il n’est pas un simple produit de l’univers car il aspire à être plus. Il trouvera satisfaction à sa quête de grandeur véritable dans la mesure où il prendra la voie du don de soi-même, à l’instar de son Créateur qui est la Générosité par excellence.


Les citations (en retrait, avec guillemets) de cet article sont tirées d’un texte intitulé « Se faire homme » de Maurice Zundel, en date du 30 septembre 1962, Lausanne, Suisse.
Les commentaires qui font office tout à la fois de présentation et de résumé et qui précèdent les citations sont de la rédaction du présent site.


Il n’y a qu’un seul véritable problème pour l’être humain, et c’est de devenir une personne humaine.

« Il y a, au fond, un seul problème pour l’homme qui est de se faire homme. »

À l’instar de tout ce qui existe sur cette terre, l’être humain n’a pas choisi d’exister. Seulement, son expérience vécue lui signale qu’il n’est pas qu’un simple produit de l’univers, car il aspire à être plus.

Homme qui regarde l'horizon« Aucun être n’a pu choisir d’exister et c’est pourquoi il faut dire que nous entrons dans le monde comme les cailloux, comme les minéraux, comme les végétaux, comme les animaux, c’est-à-dire, comme des objets. (…)
Tout le problème de l’homme, c’est précisément celui-là : est-ce que nous pouvons rester dans cette situation? Vous vous rappelez le mot de Camus, si admirable : L’homme est la seule créature qui ne peut accepter… qui ne peut accepter d’être ce qu’elle est. »

« Chacun de nous, surtout quand les autres méconnaissent sa dignité, quand les autres le méprisent, quand il est victime d’une injustice, chacun de nous sent qu’il n’est pas une chose, qu’il ne peut pas demeurer un objet. »

Si l’être humain refuse d’être un objet, c’est qu’il a le sentiment profond de pouvoir devenir une origine, de devenir un sujet.

« Si l’homme refuse d’être objet, s’il refuse de servir purement et simplement d’instrument, s’il refuse de se laisser traiter en chose, c’est donc qu’il a l’intuition, qu’il a le sentiment incoercible de pouvoir devenir une source, une origine, un commencement, un créateur. Il ne peut pas rester, simplement, ce qu’il était en naissant, il a à se faire, il a à se faire homme. Le monde n’est pas fait : il est à faire. L’homme n’est pas fait : il est à créer. »

La vie de l’esprit? C’est devenir quelqu’un, c’est devenir une personne, c’est devenir créateur de soi-même et du monde.

« S’il y a une vie de l’esprit, c’est en raison de cette vocation unique qui incombe à l’homme, qui le caractérise, cette vocation unique d’avoir à passer de quelque chose à quelqu’un, d’objet à sujet, d’instrument à personne, de résultat enfin, à créateur. L’homme a donc une vocation d’origine. L’homme est appelé à se créer lui-même dans sa dimension humaine, dans sa dimension et dans sa dignité personnelle. »

Dans sa quête de plus-être et de grandeur, deux voies s’offrent fondamentalement à l’être humain. Une première, qui aboutit toujours à l’échec, consiste à vouloir dominer les autres et à se laisser définir par le dehors, c’est-à-dire par le regard des autres où c’est leur opinion à notre égard qui fonderait notre valeur.

« Mais quel itinéraire va-t-il suivre pour aboutir à cette réalité magnifique pour faire de lui, vraiment, un espace illimité et un créateur? C’est là que se situe l’ambiguïté : il y a deux voies, en somme, deux voies dont l’une consiste à vouloir se distinguer des autres en les dominant, et c’est la voie que presque tous les hommes sont tentés de suivre, et suivent en effet. Ils s’imaginent, c’est une tentation universelle, que pour parvenir à la grandeur, il faut être porté sur le pavois, il faut avoir des admirateurs, il faut faire parler de soi, il faut agiter l’opinion, il faut occuper une situation en vue… et, c’est à ce moment-là, qu’on sera vraiment quelqu’un! »

« Tentation universelle, tentation qui aboutit toujours à un échec car enfin l’homme qui se fait porter par l’opinion est encore infantile. Vous n’avez qu’à penser, nous n’avons qu’à penser au sort d’un Hitler ou d’un Staline qui, chacun dans son secteur, a été une sorte de Dieu tout-puissant, qui a cru être parvenu à l’apogée, au sommet de la grandeur et qui sont aujourd’hui universellement désavoués, s’ils ne sont pas complètement oubliés. »

La deuxième voie de grandeur est celle proposée par l’Évangile. C’est la voie de la générosité.

« Il ne s’agit pas de se faire porter par le monde, porter par l’opinion et caresser par elle, mais qu’il s’agit de porter le monde et de le créer dans cette dimension d’amour qui peut seule lui donner une signification intelligible. »

Pour le chrétien, Dieu est pure générosité et c’est précisément lui qui nous appelle à exister et à nous affirmer dans le don de soi-même. Un appel qui vient du fond de notre être.

« Et il va découvrir justement, il va découvrir Dieu lui-même comme une pure générosité qui suscite la nôtre et qui nous fait entrer dans ce monde nuptial, dans ce monde merveilleux où l’existence ne peut s’affirmer que dans le don de soi-même. Car enfin, c’est cela ou plutôt, c’est ici, que nous sentons le moment créateur, c’est ici que Dieu entre en scène, non pas du dehors, mais du dedans. »

C’est la grande découverte de saint François d’Assise, qui pour accéder à la véritable grandeur à laquelle il aspirait, se donnera à la Générosité par excellence qui est Dieu.

« Il ne s’agit jamais d’autre chose que de passer toujours plus résolument de quelque chose à quelqu’un, de trancher les adhérences qui nous rivent à notre moi-animal et de faire de notre vie cet immense espace de jeunesse, d’harmonie et de générosité où toute vie pourra s’épanouir et où Dieu lui-même pourra transparaître dans l’authenticité de sa vie qui est pur don, éternelle et infinie générosité. »

« Saint François, qui ne veut pas démordre de son appétit de grandeur, mais qui ne veut pas non plus se tromper lui-même, qui veut une grandeur solide, une grandeur sans limites, une grandeur infinie où il n’acceptera pas d’être porté par les autres et d’être pouponné par l’opinion, mais où il sera vraiment un créateur, une source, un commencement, un espace infini. »

Concluons par une dernière citation de Maurice Zundel qui résume à merveille l’essentiel :

« Nous voulons donc nous remettre entre les mains de cette immense sagesse qui est la sagesse de l’amour et nous voulons, faisant un crédit total à la générosité de Dieu, tenter de creuser notre sillon en allant toujours plus avant dans cet accomplissement de nous-mêmes qui sommes tous appelés à être une source, un commencement et un créateur, car le monde n’est pas encore fait, il est à faire. L’homme n’existe pas encore, il a à se créer, puisqu’il n’y a qu’un seul problème, c’est de se faire homme. »

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